Gad Elmaleh: une aventure américaine
Sonia Sarfati
La Presse
Gad Elmaleh a fait un tabac au Festival Juste pour rire, il y a six ans au Monument-National. Il y a trois ans, ce n'était plus seulement un tabac, mais un feu roulant de rires qui a secoué le TNM. Lundi et mardi, avec L'Autre c'est moi!, il va (littéralement?) brûler les planches du Saint-Denis 1. Chaud devant! Entretien avec ce Gad-là.
S'ils avaient à se constituer une (pas trop sainte) trinité, les amateurs de rire pourraient miser sur les grands blonds: le grand blond avec une chaussure noire de Pierre Richard, le grand blond avec un show sournois de Marc Labrèche... et le grand blond trop parfait de Gad Elmaleh. Ce dernier, ils l'ont rencontré il y a trois ans sur la scène du TNM, le temps d'un numéro hilarant où l'humoriste relatait sa première fois. En ski, s'entend. Où, alors que le grand blond affichait prestance et assurance surhumaines, lui, le p'tit brun, s'empêtrait dans ses bottes et ses bâtons tandis que ses lunettes lui donnaient l'air d'une mouche et que son nez se transformait en robinet.
C'était dans «nos» Laurentides, qui sont un peu les siennes: Gad et le Québec, c'est une histoire d'amour qui dure depuis une vingtaine d'années. Il s'est installé à Montréal à l'âge de 16 ans, y a fait son cégep et commencé l'université. Et y a fréquenté le Club Soda du temps de l'avenue du Parc et le Café Campus du temps de la rue Queen Mary: «J'ai vu les débuts de Jean-Michel Anctil, de François Morency, de Maxim Martin, de Lise Dion», se souvient l'humoriste dont le nouveau spectacle, L'Autre c'est moi! Drame comique en un acte manqué, sera finalement présenté à Montréal.
Finalement, parce que le rendez-vous a failli ne pas avoir lieu. L'aventure américaine de Gad, jusqu'ici réussie, a connu quelques ratés au cours des derniers mois. Pas par mauvaise volonté, mais par malchance. Ainsi, quelques jours avant son passage au Festival Juste pour rire, prévu en juillet, l'humoriste a «fait le malin» en moto-marine, à Casablanca. «J'ai pris une grosse vague et au lieu de retomber dans l'eau, je suis retombé sur la machine. Je me suis cassé une côte, fêlé une autre et déchiré un muscle», raconte-t-il.
Annulés, les spectacles au Saint-Denis. Remis au moment d'une tournée nord-américaine durant laquelle il a présenté son spectacle devant les communautés francophones de Miami (le 14 septembre), de New York (le 17 septembre) et de Los Angeles (le 20 septembre). Son étape finale: Montréal. «Sauf qu'à l'approche de mon départ... et du 11 septembre, les autorités américaines sont devenues très crispées. Pendant un moment, j'ai craint de ne pas avoir mon permis de travail pour les États-Unis.» Et si les États-Unis tombaient à l'eau, Montréal aurait subi les dommages collatéraux.
Stand-up lucide
Mais, enfin, tout est bien qui finit bien. C'est avec bonne humeur.. et soulagement qu'il montera lundi sur la grande scène du Saint-Denis - «Je rêvais d'y jouer. C'est cool, je suis content.» - pour, entre autres, faire la vie dure aux clichés. «Je n'en peux plus d'entendre les Français me dire que les Québécois sont gentils! s'insurge celui qui a une vision (im)pertinente - et pas du tout folklorique - de la Belle Province et de ses habitants. "Ça ne m'intéresse pas. Je leur dis: "Mais arrêtez! Moi, je connais un Québécois méchant!"» Non, sérieusement, c'est raciste, ce genre de commentaire. C'est comme dire que tous les Noirs courent vite et que tous les Juifs ont de l'argent. Il y a des Québécois gentils et des Québécois méchants, des Québécois juifs gentils, des Québécois noirs épileptiques, des Québécois chinois mélancoliques...»
Oui, il y aura un numéro sur les clichés dans son spectacle. Un autre sur la vie de tournée des stars: «Je fais une démythification totale. Les gens imaginent qu'on descend dans les meilleurs hôtels, qu'on sort le soir... Dans la réalité, ce n'est pas du tout glamour.» À part à Montréal?
Ensuite, détour pas du tout politiquement correct par l'éducation des enfants: «J'en ai marre, par exemple, de voir les adultes s'extasier sur les dessins d'enfants... alors qu'ils sont nuls! Mon fils, il dessine des maisons que si on vivait dedans, on serait dans la merde. Alors, je lui dis: "Arrête, c'est nul, ton truc!" Ça m'énerve, cette espèce de compassion qu'on a pour les enfants simplement parce qu'ils sont des enfants.»
Dur, le Gad? Lucide, plutôt. D'une lucidité que, sur scène, il conjugue de plus en plus sur le mode stand-up. Genre qu'il a découvert au Québec, à une époque où il ne pensait pas encore, un jour, faire lui-même de la scène: «Ça me faisait rêver, bien sûr. Parfois, je croisais Michel Courtemanche sur Saint-Laurent et j'allais lui parler... mais, bon, je n'étais pas prêt. Je n'avais pas ce courage-là.»
Il l'a trouvé graduellement, se coulant dans l'humour petit à petit - plutôt qu'en plongeant brutalement dedans. Il y a bien sûr eu ce vieil ami à qui il faisait des blagues et qui lui disait: «Toi, Gad, quand tu parles, tu perds de l'argent.» Mais il lui a fallu... le temps qu'il a fallu pour qu'il passe du désir à l'acte. Temps pour l'artiste. Et pour l'homme. «Il n'y a pas que de l'artistique, dans ce métier. Il y a un besoin de raconter des choses mais, surtout, un besoin d'être regardé, d'être accepté. Aimé. On n'est pas là que pour la rigolade. On est là parce que si les gens rient, ils nous disent qu'ils nous aiment. Alors... continuez à rire!»
Gad Elmaleh, les 25 et 26 septembre au Théâtre Saint-Denis 1.
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