Gad Elmaleh, l’humoriste numéro 1 de France, est resté le même Gad que nous avons connu il y a une quinzaine d’années à Montréal. Un être affable, chaleureux, sympathique, humble… qui n’a surtout pas perdu le sens de l’humour!
Gad présentera son dernier spectacle, L’autre c’est moi, les 9 et 10 juillet, au Théâtre Saint-Denis, dans le cadre du Festival Juste pour Rire 2006.
Entretien à bâtons rompus avec une grande star de l’humour et du cinéma francophones.
Canadian Jewish News: Montréal, qui vous accueillera dans quelques jours, occupe une place particulière dans votre coeur?
Gad Elmaleh: Absolument. Montréal a été pour moi un passage crucial à un moment important de ma vie. Je n’aurais pas eu le même attachement à Montréal si j’étais un peu plus jeune ou un peu plus vieux. J’ai vécu à Montréal quatre ans. De 16 à 20 ans. Ce furent pour moi des années très importantes, à tous les niveaux. J’ai découvert au Québec un monde totalement différent de celui dans lequel je vivais au Maroc: les hivers, “très doux”, canadiens, mes premières rencontres avec des nanas, mon intégration dans un système d’éducation totalement libre...
Une après-midi de juin, je suis sorti de l’École Maïmonide à 15h. Je suis allé avec des amis bouffer des glaces. C’était la première fois que je finissais l’école aussi tôt. C’était énorme pour moi! Je n’avais jamais vécu ça dans ma vie! Je me suis dit alors hébété: “Il y a un truc qui va nous tomber sur la gueule après ça! Ça ne peut pas être aussi zen que ça! Il y a un problème quelque part!”
C.J.N.: C’est à Montréal que vous avez fait aussi vos premiers pas dans le monde artistique.
G. Elmaleh: Oui. C’est à Montréal que j’ai eu mes premiers contacts avec le milieu artistique et vécu mes premières expériences au théâtre. C’est à Montréal que j’ai rêvé de devenir un jour artiste. C’est à Montréal que j’ai appris, pour la première fois, un texte théâtral par coeur. Je dois tout ça à Solly Lévy. Ce brillant créateur culturel et metteur en scène m’a donné le goût de ce métier. Je ne l’oublierais jamais.
Je dois aussi beaucoup à la Quinzaine Sépharade. C’est dans le cadre de cette fameuse Quinzaine de la Culture sépharade, que j’ai joué, en 1992, dans un spectacle mis en scène par Carlo Bengio, Ombres et lumières. Une pièce relatant l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492. C’est en jouant dans une adaptation en judéo-arabe de Solly Lévy du Malade imaginaire de Molière que j’ai créé, inventé et improvisé un de mes personnages, Baba Yihyia, le grand-père juif marocain. Un octogénaire à l’accent très coloré qui pose dans cette pièce une question médicale capitale: “Dites-moi quel est l’impact du fliflaharass sur la muqueuse buccale?” Tout cela est parti d’une imitation que j’ai improvisée en déconnant un soir de Shabbat chez mes amis Élie et Liliane Abitbol. La première phrase a provoqué des éclats de rire. Je l’ai reprise lors d’une répétition avec Solly Lévy. C’est ainsi qu’est né le personnage de Baba Yihyia.
Je suis très heureux de retrouver le public québécois et mes amis de la Communauté sépharade de Montréal. Je ne les ai pas oubliés. On ne peut pas oublier ses premiers pas. S’il y a un endroit où je vais m’empresser d’aller en arrivant à Montréal, c’est bien au Centre étudiant Hillel. Ce lieu de solidarité et de fraternité a été aussi pour moi un important point de départ. Qui peut oublier les mémorables cafés-shows du Hillel? Quelle magnifique époque! Yahasra!
C.J.N.: Vous avec connu ces dernières années un succès fulgurant dans le monde du showbiz français. Cette notoriété vous a-t-elle pris de court?
G. Elmaleh: Sincèrement, je ne m’attendais pas du tout à vivre ce que je vis aujourd’hui. Par contre, j’en rêvais. Ces dernières années, j’ai vécu en France des expériences humaines et professionnelles extraordinaires. Le jour où j’ai mis mon smoking pour présenter la cérémonie des Césars – distinctions décernées aux créateurs et aux artistes du cinéma français – je n’en croyais pas mes yeux. J’avais en face de moi tout le gratin du cinéma français – producteurs, acteurs, réalisateurs… J’étais tout seul face à cette galerie de vedettes imposantes. Je me suis dit alors: “Ouaw! Jamais de ma vie je n’aurais pu imaginer de vivre un jour ce moment fabuleux.” Quand tu viens du Maroc, après être passé par le Québec, tu n’as pas la prétention de dire: “Un jour, je présenterai les Césars, la cérémonie la plus chic de la télé pour le cinéma français!”
C.J.N.: Préférez-vous vous retrouver sur une scène de théâtre pour présenter un one-man-show ou sur un plateau de cinéma?
G. Elmaleh: Avant, je ne répondais pas honnêtement à cette question. Pour y répondre, j’avais même trouvé des formules à l’emporte-pièce. J’avais formaté une réponse avec laquelle je ne suis plus d’accord. Je disais alors une connerie du genre: “C’est comme demander à une mère lequel de ses enfants elle préfère?” En relisant un jour une interview, j’ai compris que je ne pensais pas du tout ça. J’avais tout simplement peur de dire la vérité par crainte de heurter les personnes qui aiment me voir jouer au cinéma. Mais, sincèrement, je préfère la scène. La jubilation qu’il y a avec le public, l’échange, l’engagement physique… C’est important pour moi d’aller sur scène physiquement, de courir, danser, sauter, transpirer… C’est une expérience artistique extraordinaire et indicible.
C.J.N.: Serez-vous dans le casting du troisième volet très attendu du film “La vérité si je mens”?
G. Elmaleh: Ils sont en train de terminer d’écrire le scénario. Normalement, je dois jouer dans La vérité si je mens 3. Mais je n’ai pas encore lu le scénario. C’est un film très attendu en France et dans d’autre pays. Jouer dans cette comédie a été pour moi une expérience cinématographique très enrichissante. J’ai côtoyé des personnalités super fortes, José Garcia, Gilbert Melki… Quand ils se rencontraient sur le plateau de tournage, c’était explosif! Ce serait prétentieux de dire que La Vérité si je mens 3 marchera aussi bien que le 1er et le 2ème films car au cinéma il y a toujours des surprises. Mais c’est sûr que nous nous retrouverons dans une énergie qui nous motivera à nous dépasser.
C.J.N.: Vous considérez-vous comme un humoriste engagé politiquement et socialement?
G. Elmaleh: En général, je tape toujours à la source. Je tape rarement avec des faits de société, des noms d’hommes politiques où des noms de phénomènes sociaux à la mode. Dans mon dernier spectacle, L’Autre c’est moi, il y a une réflexion sur les clichés qui est vraiment un regard sur la tolérance et le racisme, sur comment on nous voit et comment on se voit. Avec la recrudescence de l’antisémitisme en France, quand je donne un spectacle, ça résonne énormément. Je ne dirais pas qu’il y a de la politique dans mes spectacles, parce que la politique ce n’est pas ma cam, ni mon style d’humour. Mais les sources de certains problèmes sociopolitiques contemporains nourrissent les trames de mes spectacles.
C.J.N.: La recrudescence de l’antisémitisme en France vous inquiète-t-elle?
G. Elmaleh: Oui, beaucoup. Cette montée de l’antisémitisme et du racisme est un fléau très inquiétant. Il y a eu dans cette affaire morbide plusieurs épisodes abjects. On pourrait en parler pendant des heures. L’assassinat lâche et dégoûtant d’Ilan Halimi m’a profondément bouleversé. C’est important de partir aussi d’événements ponctuels et de faits réels pour analyser une ambiance, une humeur, une tendance. Ilan Halimi a été tué par ce fameux gang, qui se faisait appeler “Les Barbares”, parce qu’il était Juif et parce que ses bourreaux pensaient qu’ils pourraient obtenir de l’argent d’une Communauté juive, à leurs yeux, très riche. Ce crime odieux m’a révolté. Il faut absolument que la tolérance zéro, qui s’applique dans certains délits, soit aussi appliquée avec fermeté dans les cas d’antisémitisme. Il y a aujourd’hui une autre tribu foncièrement antisémite, surnommée “K,” qui est dans un délire antisémite et raciste total. Ce groupuscule, qui prône sans ambages un racisme antiblanc, traite les Juifs de négriers. La démence à son zénith!
C.J.N.: Votre identité juive sépharade marocaine occupe-t-elle une place importante dans votre travail artistique?
G. Elmaleh: Mes spectacles ont toujours été autobiographiques. Mais, moi aussi j’ai bougé et évolué. Au début, quand tu arrives dans un pays étranger, tu côtoies les gens de ta Communauté. Tu écris alors sur ce que tu vis. Mais, plus les années passent, plus tu t’ouvres, plus tu rencontres des gens provenant des différents horizons. Ton écriture et le regard que tu portes sur le monde changent forcément. Ils sont influencés par tes rencontres. Ainsi, la trame de mes spectacles n’est plus de raconter ma vie et mon univers, mon Maroc natal, mon expérience de vie au Québec… mais comment je vois le monde et la société dans laquelle je vis. Et aussi, comment les autres me perçoivent. Au-delà d’être un acteur au cinéma ou un comédien sur une scène de théâtre, je suis devenu malgré moi un acteur de la vie culturelle, sociale, politique…
Je ne pars jamais d’un message. Au contraire, mes points de départ sont des émotions fortes ou des choses que j’ai envie de raconter. Je ne me dis jamais: “Il faut que je véhicule dans ce spectacle un message de paix ou de tolérance”. J’ai juste envie de parler de quelque chose qui me touche de près. La conséquence, c’est que ça finit par devenir un message. Mais, sur une scène, il n’y a pas les messages qui comptent. Il y a aussi le pur plaisir de faire rire.
Que mon expérience identitaire juive transparaisse dans mes spectacles, c’est normal. Mais ce n’est pas un calcul délibéré. C’est quelque chose d’ inné. C’est une espèce de filtre à travers lequel je vois la vie. Ce ne sont pas forcément des éléments de religion, mais plutôt une philosophie de vie au quotidien.
C.J.N.: La participation de l’humoriste Dieudonné, condamné dernièrement par la Justice française pour antisémitisme, au Festival Juste pour Rire 2006 vous choque-t-elle?
G. Elmaleh: Il y a deux semaines, Dieudonné a été condamné à nouveau par la Justice française. L’animateur de télévision Arthur l’avait poursuivi pour des propos diffamatoires. Dieudonné l’accusait de financer l’armée israélienne grâce à l’argent du showbusiness. Dieudonné a sombré dans un délire antisémite total!
Je ne peux pas regretter qu’on invite un artiste au Festival Juste pour Rire. Par contre, je ne veux absolument pas être présent aux Galas où Dieudonné sera présent. C’est une condition à ma participation au Festival Juste pour Rire 2006. Je ne veux absolument pas partager un plateau de télé avec lui, ni être à côté de lui. Je ne veux pas lui donner mon regard, ni l’écouter. Au stade de la maladie antisémite dans laquelle il est, on ne peut plus discuter avec lui. J’ai essayé de discuter avec lui dans le passé. En vain. Dieudonné est atteint d’une vraie et très grave maladie: la parano du Juif. C’est une maladie qui peut être diagnostiquée. Ça relève d’un cas psychiatrique lorsqu’il affirme que son projet de film sur la traite des Noirs ne s’est pas réalisé parce que les forces sionistes l’en ont empêché. C’est totalement un fantasme antisémite de penser que le cinéma est géré par les Juifs et, encore plus, de faire un amalgame avec le Sionisme. Comme si les Sionistes et l’État d’Israël avaient quelque chose à foutre du film de Dieudonné.
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